Quinzième partie : La Centrale Nucléaire de Tchernobyl.

Le stade est désormais derrière moi, avec les horreurs qui traînent sur la pelouse centrale. Le chaos aussi est derrière. Les Stalkers, les loyaux, les traîtres, les anarchistes, les commerçants, les scientifiques, les monstres, l'armée enfin, drapée dans sa cape pourpre, dans sa légitimité toute prétendue.

Tous tueurs, certains patentés. Pour rien, pour des valeurs ? Des idéaux ? Le savoir ? La science ? Le fric ? Le pouvoir ?
Conneries. Vanité.

Unjourj'amenaisunécrivainetunprofesseurici

Derrière moi le chaos de la vie : tourbillon de sang et de chair palpitante, comme les organes d'un homme (animal ?) pris dans une anomalie. Nonsense.

Devant moi, de même que le soleil qui monte dans le ciel, monte l'aveuglante lumière blanche d'un ordre nouveau, apocalyptique oui, mais tellement rationnel en comparaison avec l'absurdité de la vie et de ses combats.

Devant moi se dresse le Monolithe et le bonheur de ma fille. Quelques poignées d'hommes qui se battent encore autour de la cheminée. Il sont merveilleusement beaux dans leur cohérence, dans leur simplicité extrême.
Ils vont jusqu'au bout, eux.
Fanatiques.

Personnellement, j'ai toujours détesté la religion, mais là il s'agit de quelque chose proche de la croyance Grecque. Pas d'adoration aveugle et faible, juste la peur justifiée d'une force supérieure - qui aime aussi se montrer malfaisante.
Comme un homme, comme un animal doté de Perversité.

Correspondance quasi-Baudelairienne, mon esprit s'éclaire à cette contemplation. Cela fait maintenant deux jours et deux nuits que je me bats sans dormir. Lorsque les eaux sombres et nauséabondes de la fatigue physique et de l'épuisement moral se rejoignent, un flot limpide jaillit et c'est un fleuve glacé qui coule dans mes veines.

Je bois une boisson énergétique, jette le reste de mes provisions, mon sac de couchage au sol et fais craquer ma colonne vertébrale. Je n'aurai plus besoin de rien désormais. Le bonheur de Darena, ou la mort.

J'irai au Monolithe. Il est temps de régler ça, définitivement.

Je range toutes mes armes dans mon sac, ajuste fermement les sangles de celui-ci. Je défais et refais mes lacets. Bras le long du corps, je commence à courir doucement. La brise fraîche de la matinée caresse agréablement mon front brûlant. Le vent vient du Nord.
Le bruit de mes chaussures heurtant le bitume se fait régulier. Je me refuse encore à forcer l'allure.

- Halte-là Stalker ! Les mains en l'air et plus un pas !
- Ludovik, regarde, il n'est pas armé !
- Ferme-là, il a peut-être une grenade ou une bombe sur lui. STALKER ARRÊTE IMMÉDIATEMENT OU NOUS OUVRONS LE FEU ! IL EST INTERDIT DE S'APPROCHER DE LA CENTRALE !

C'est le moment. J'accélère ma course. Derrière-moi les deux hélicoptères de combat se rapprochent. Ils vont passer très bas.
Encore ce goût cuivré, désormais familier dans ma gorge. Mon second souffle se fait attendre.
Une détonation assourdissante retentit à la place des voix. Sniper. Une balle siffle à ma droite alors que mes pieds volent d'un côté à l'autre du bord de la chaussée. Tire mon gars, tente encore ta chance. A quatorze ans je courrais déjà sous le feu, en zig-zag, à Pripyat. Quand la Zone commençait déjà sournoisement à pourrir ma semence.
Il recharge cliclacmevoilàdattack ! Le coup de feu suivant m'est inaudible, car les hélicoptères passent à quelque mètres de ma tête et l'un d'eux envoie deux missiles air-sol. Le premier fait sauter un barrage à quelques centaines de mètres devant moi, tandis que le deuxième part sur la gauche, ouvrant une brèche dans le mur d'enceinte de la centrale.

Je m'engouffre dans le trou fumant sans cesser de courir, et l'arrivée de mon second souffle accompagne la vue du spectacle d'apocalypse qui m'attend de l'autre côté. Des hommes se battent comme des insectes devant la masse énorme de la centrale, monstre carré et grotesque qui étale ses étages d'acier et de béton de manière indécente, la grande cheminée dominant l'ensemble de la bataille comme une reine dégénérée et curieuse de la souffrance de ses sujets.


En son sein, le Monolithe attend son dû de chair morte. Ce putain de bon vieux Monolithe, AHAHAH comment vas-tu, Yeau de Poele ? Sacré putain de bon vieux Monolithe, va.



C'est au milieu de ce grand bal fumant que je cours les derniers six-cent derniers mètres, au son désaccordé des rafales, au rythme vulgaire des mortiers. Les murs de la grande salle de bal sont décorés de viscères, les miroirs innombrables se jaugent avant de s'affronter et de se faire voler en éclats d'armes automatiques. Et partout rôde la mort rouge - l'affolement de mon compteur Geiger en est témoin.

C'est lorsque le feu d'artifice éclate dans le ciel - éclaboussures sanglantes, figures de rotors désarticulés, odeur de poudre - que j'aperçois l'entrée sur la droite, taillée à même le flanc de la centrale Nucléaire. J'y entre, toujours courant, assailli par un remugle qui manque de couper ma respiration déjà sifflante.

Dernier point avant la folie complète :
- Mon sac est transformé en passoire, mais à part mon arme de poing et la petite mitraillette, rien n'est mis hors d'usage.
- J'ai une balle logée dans l'épaule gauche. Je pisse le sang.
- J'ai une longue estafilade, heureusement superficielle, sur le côté de la cuisse.
- Plusieurs balles ont été stoppées par ma combinaison, dessous j'ai des bleus qui commencent à virer au noir.

Je n'ai pas mal.

Ilesttempsderéglerça.

fini
ti
vement.



Bilan :

- Je cours et ne meurs pas.
- J'ai un tas de trucs pour tuer dans mon sac à malices, ahahah.
- Ma caboche sonne fort maintenant ahahah et j'entends clairement la chanson de la Zone. - J'ai dans ma tête le Monolithe. Oh oui, le Monolithe. - J'ai aussi une petite fille, je vous l'ai dit ? Elle est malade et c'est ma faute, mais elle va guérir, car dans mon sac j'ai un tas de trucs pour tuer.
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