Interlude II :

Je suis mort.

1988, Pripiat.

De grands arbres sombres se dressent sur le bord d'une route défoncée et pleine d'ornières. Un pick-up fonce à toute allure sur celle-ci, au risque d'envoyer ses amortisseurs ad patres. Les mains de mon Oncle, agrippées au volant, font faire de folles embardées au véhicule afin d'éviter les plus gros trous de la route.
Je suis à la place du mort et je crois que j'ai vomi entre mes pieds. je peux le dire à l'odeur. Mon crâne, renversé en arrière sur l'appuie-tête, est le théâtre de fantasmagories toutes plus délirantes les unes que les autres. Mon souffle est court et pénible, et la douleur à l'aine s'est répandue comme si une flaque de ciment avait pris dans mon bas-ventre.

- L'hôpital militaire n'est plus très loin ! crie mon Oncle. Tiens le coup, mon garçon !

J'ai l'impression de l'entendre à travers une épaisseur considérable, comme si on m'avait enfoncé la tête dans un édredon polonais. J'ai la fièvre, mon visage et mes avant bras ruissèlent de sueur.
Le pick-up fait une dernière embardée et, au terme d'un long dérapage, s'arrête enfin.
Par la fenêtre du côté passager, mes yeux à la dérive flottent un instant sur la pancarte...

Silence
Hôpital

... et se ferment.

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